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Blog de critiques de spectacles vivants

28 Oct

LE MORAL DES MÉNAGES

Publié par Matthias Claeys

LE MORAL DES MÉNAGES

spectacle de Stéphanie Cléau / D'après Éric Reinhardt / Théâtre de la Bastille / du 22 octobre au 20 décembre

C'est une rentrée théâtrale très littéraire, avec l'adaptation de trois romans d'auteur-e-s français-e-s contemporain-ne-s : Michel Houellebecq à l'Odéon, Virginie Despentes à la Pépinière, et celui qui nous intéresse ici : Éric Reinhardt à la Bastille.

Stéphanie Cléau s'entoure de Mathieu Almaric et Anne-Laure Tondu pour adapter un des premiers romans de l'écrivain, Le Moral des Ménages, déballage sans concession d'un quarantenaire lunaire sur son enfance, sa famille, les femmes et surtout son père, homme piétiné par la vie, le boulot et sa propre famille, vision acerbe de la classe moyenne, de la vie provinciale, de la soumission à l'argent, constat affligeant de l'échec répété.

Alléchant, quoi.

La metteur en scène fait donc jouer à Mathieu Amalric le rôle du personnage principal, celui qui prend la parole, Manuel Carsen, pendant que Anne-Laure Tondu se charge des rôles féminins, et qu'en fond de plateau sont projetés des dessins de Blutch, dans l'idée de donner à voir le psychisme du héros qui n'en est pas un. Dessins (très beaux), qui créent des effets de matière, d'apparition...

Manuel Carsen est supposé être chanteur, alors certains passages du texte sont dit au micro et habillés de musique, passages qui pourraient composer les pistes de son album. Cependant, d'autres fois, le micro est utilisé pour de l'adresse public, ou juste pour créer un effet de brutalité sur certaines phrases "choc". Cette adresse semble poser problème, aux comédiens comme à la metteur en scène, parce qu'à très peu de moments on a l'impression que les acteurs savent à qui ils parlent. Et donc, nous, de notre côté, à très peu de moment on sait ce qu'on regarde.

Pendant la majeure partie de la pièce, une impression étrange se dégage : comme si le héros qui prend la parole, l'acteur qui le joue, et nous qui sommes ses complices étions bien plus intelligents que ceux qu'il décrit. Donc on assiste a quelque chose qui ne sait pas trop sur quel pied ça se danse cette danse-là, avec la tentation de faire copain-copain avec le public sur des thèmes faciles, par peur peut-être de poser les questions qui fâchent : qu'est-ce que ça raconte un homme qui pense du plus profond de son être que sa mère a détruit son père et que les ménagères de la classe moyenne ont mené le monde à sa sclérose ? Et cette mère, vu qu'elle apparait sur scène, pourquoi ne la montrer que par le prisme présupposé du fils ? Pourquoi prêter si peu d'attention à ses propos, comme s'ils ne devaient servir que d'échos ou d'exemples, comme s'ils n'étaient là pas comme un contrepoint mais comme une marche supplémentaire dans l'escalier, qui mène à quoi d'ailleurs ? Qui mène à un monologue qui doit remettre les choses à niveau, prendre les gens à leur propre piège de supériorité de classe, en flagrant délit de boboïsme, qui peine à arriver à ses fins, malgré l'énergie et le talent déployés par Anne-Laure Tondu, à la fois parce que le socle n'est pas assez solide, la ligne n'était pas assez claire, et sûrement aussi parce que c'est une fausse bonne idée.

Tout le spectacle est conduit dans une espèce de fausseté condescendante pour amener vers un point de "réel" où la fille balance la vérité crue à son père sur son égoïsme et sa propre cruauté. Sauf que faire ça, c'est comme tirer la morale d'une fable, c'est infantilisant, et souvent c'est un peu à côté de la plaque. Ce qu'il y a de plus plaisant dans l'écriture de Reinhardt, comme d'ailleurs dans celle de Houellebecq, c'est qu'ils livrent sans être dirigés par l'éthique, la morale ou le sentiment juste. Une façon de dire qu'en général, quand une personne fait quelque chose, dit quelque chose, elle se sent légitime de le faire, elle est dans son bon droit, elle a raison. Non pas que tous les discours se valent, mais que la plupart de ceux qui parlent et agissent pensent avoir raison. Ce qui rend le monde plus complexe, plus truculent, les spectacles plus vivants. Comme une plongée dans l'océan du réel, plutôt que dans la piscine du réalisme.

Matthias Claeys

Le Moral des Ménages

D'après le roman éponyme d'Éric Reinhardt

Mise en scène de Stéphanie Cléau

Avec : Mathieu Amalric et Anne-Laure Tondu

Crédit photo : Marc Domage

Théâtre de la Bastille

du 22 octobre au 31 octobre (20H) puis du 03 au 20 décembre (21H)

www.theatre-bastille.com / 01 43 57 42 14

76 rue de la Roquette - Paris 11 - Métro Voltaire ou Bastille

Durée : 1H05
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