Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Blog de critiques de spectacles vivants

10 Jan

Lost (replay)

Publié par Matthias Claeys

Lost (replay)

de Gérard Watkins / Théâtre de la Bastille / du 7 janvier au 3 février 2013

Il y a deux ans, Gérard Watkins présentait son formidable "Identité" au Théâtre de la Bastille. Aujourd'hui, il revient avec une nouvelle pièce "Lost (replay)", et il va sans dire qu'on est curieux.

"Lost (replay)", c'est la volonté de parler du langage qui se perd, qui se dissout, de la rencontre qui ne se fait plus, de la solitude grandissante et mal comblée. C'est la tentative de trois anges déchus de prouver que l'humanité n'est pas un projet vain.

Pourquoi pas ?

En tout cas, ça commence bien. La scénographie est très séduisante, intérieur de deux appartements, un homme, une femme, lui écoute des entretiens enregistrés de Services Après-Vente pour vérifier la "syntaxe bienveillante" des employés, elle achète et branche sa box internet/tv/téléphone. L'écriture du quotidien est précise, drôle, les comédiens très justes.

Puis, abracadabra, arrivent (chutent) trois anges, directement dans le sous-sol. Et c'est le début de la fin : tout devient explicatif, comme dans un médiocre spectacle pour enfants. Là où l'écriture de Gérard Watkins fonctionne, c'est vraiment dans le sous-entendu, dans le non-dit, dans la petite remarque, dans le faussement quotidien (les partitions de Nathalie Richard et Fabien Orcier - les humains - sont très justes, très bien portées.) Apparemment pas dans le lyrique. Les monologues angéliques sur la puissance du langage, la beauté de la rencontre, du réel, le cul de sac dans lequel on s'est fourré mais dont on peut sortir sont autant de pétards mouillés, qui font penser de loin en loin à un clin d'oeil à Novarina, sans trouver ni puissance ni souffle. Et c'est la même chose dans la mise en scène. Gérard Watkins sait très bien diriger ses acteurs dans cet endroit de jeu où il amène les "humains", à la fois naturaliste et précis, quotidien et tenu. Mais quand il essaie de donner une voix et un corps à ces anges, avec une volonté apparente de se départir du code de jeu des "humains", il se perd, ils se perdent, dans un non-lieu, puisant dans le cabaret, dans l'enfance, dans le clown, pour arriver à un mélange qui s'épuise à grande vitesse.

Alors le discours, appuyé de cette façon, devient au mieux insipide, au pire insupportable. Ce qui en ressort, à coups d'imagerie de plus en plus poussiéreuse, c'est que nous sommes dans une impasse, que nous nous faisons avoir par les réseaux sociaux, par le consumérisme, qui nous enferment et nous donnent seulement de quoi nous occupper, que nous avons perdu le vrai sens des choses : on ne sait même plus qui sont nos voisins... Et vas-y que je te pousse, l'avenir c'était mieux avant !

Je suis presque sûr que ce n'était pas ça que Gérard Watkins voulait dire, j'espère vraiment que ce n'était pas ça. Parce que si c'est le cas, il y a un manque d'accuité affligeant. Parce que dire que Facebook aura notre peau et que la publicité avale nos cerveaux, c'est faire preuve d'un dogmatisme incompréhensible. Oui, les choses ont changé, oui, il y a des excès, bien sûr, qui pourrait dire le contraire ? Mais est-ce que ce ne serait pas plus percutant d'essayer de voir comment aujourd'hui les gens se rencontrent ? Parce que oui, les gens se rencontrent encore ! Parce que non, l'invention du walkman n'a pas signé la fin de l'humanité ! Parce que non, la langue ne s'appauvrit pas nécessairement : elle change, elle se meut. Parce que si ce spectacle avait réussi, comme "Identité", comme on l'espérait, à nous interroger, à nous mettre en garde, à nous faire prendre du recul, on aurait sûrement pris du plaisir à y réfléchir, à se questionner sur le monde et les directions prises. Se déroulant comme une suite de diktats, de bonnes pensées, de vérités vraies sur l'humain et son essence, il ne fait peut-être que nous passer l'envie de réfléchir. C'est dommage...

Gérard Watkins nous a déjà prouvé qu'il sait être un merveilleux auteur, et un metteur en scène très efficace. Son spectacle suivant sera sûrement formidable.

Matthias Claeys

Lost (replay)
texte et mise en scène : Gérard Watkins
avec : Anne Alvaro, Gaël Baron, Antoine Mathieu, Fabien Orcier et Nathalie Richard
Du 7 janvier au 3 février 2013 / 20h
Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette / Paris 11 / Métro Voltaire ou Bastille
01 43 57 42 14 / theatre-bastille.com
Durée : 1h45
crédit photo : Alexandre Pupkins

Commenter cet article

À propos

Blog de critiques de spectacles vivants